Automatisation et Assistants Virtuels – La RPA dans l’industrie de l’Assistance

Entretien avec Michel de Marsano et Olivier Legay


Publié le 8 décembre 2020

Dans le domaine de l’assistance, l’écoute et l’efficacité sont des éléments clés pour assurer une prise en charge rapide et un service de qualité aux personnes en difficulté. Afin de favoriser ces facteurs, certaines activités des agents de support peuvent être automatisées, leur permettant ainsi de se concentrer sur la recherche de solutions à un contexte complexe et souvent émotionnel. L’explosion des outils numériques, et notamment l’automatisation des processus robotisés, représente dès lors un atout dans cette démarche d’amélioration continue.

Pour illustrer ces aspects, Olivier Legay du Touring Club Suisse et Michel de Marsano de Boydak Automation reviennent sur l’initiative RPA lancée par la direction Assistance du TCS fin 2019.

Pourquoi l’automatisation des processus est devenue un sujet d’intérêt pour vous ? Comment en êtes-vous arrivés à la RPA ?

Olivier Legay (OL): Dans mon domaine d’activité, notre raison d’être est de vous aider lorsque vous êtes en difficulté. Que ce soit pour un problème en voiture, à vélo, en transports en commun ou encore pour un soutien médical lors d’un voyage à l’étranger, vous aurez toujours un collaborateur du TCS au téléphone lorsque vous nous contacterez.  

Alors quelle place a un robot ou l’automatisation de processus là-dedans?

Aucune ou peu dans l’interface directe avec nos membres. En revanche pour tout le reste, pour les activités de back-office, ou pour apporter du support à nos agents du front-office sur des tâches fastidieuses, nous sommes à la recherche de gains d’efficience.

Le TCS n’est pas une organisation à but lucratif mais il se doit, pour ses membres, de rester une organisation efficiente. Les gains apportés par la RPA nous permettent de proposer des produits extrêmement attractifs et innovants à des prix intéressants pour nos membres et nos clients B2B.

Michel de Marsano (MdM): Le gain d’efficience recherché par le TCS est le point de départ pour de nombreuses sociétés qui entreprennent une initiative RPA. En effet, le temps libéré par les robots permet aux employés de se concentrer sur des taches à plus forte valeur ajouté, de collaborer avec leurs collègues et de passer plus de temps avec la clientèle. La rapidité d’exécution des processus permet aussi de réduire la durée nécessaire au traitement d’une demande dans un call center, augmentant ainsi la qualité du service par la réduction du temps d’attente et de résolution de la demande. Mais ceci ne représente qu’une partie des bénéfices qu’apporte l’automatisation. Il faut aussi considérer la
, la satisfaction des employés avec un effet positif sur le turnover ou encore la possibilité d’innover en s’appuyant sur cette main d’œuvre digitale.

Quelles sont les applications concrètes de robotique dans vos activités ?

OL: Au TCS, nous avons entrepris la robotisation dans deux domaines distincts. Le premier concerne les tâches de back-office et plus particulièrement le contrôles de données entre plusieurs systèmes ou fichiers Excel. L’exactitude des numéros de dossier, de plaques d’immatriculation et de contrôle de couverture est vérifiée par un robot. On lui fournit une liste Excel avec des centaines de dossiers à contrôler et il se charge de vérifier dans plusieurs systèmes la correspondance des données. Si tous les points de contrôles sont validés, il saisit automatiquement la facture, sinon, il demande à un agent de vérifier les cas litigieux.

Le deuxième domaine attrait au support des agents de notre call center. Un robot est mis à la disposition d’un agent pour l’assister dans différentes tâches (copier/coller d’adresses, de numéros de plaques, contrôle de couverture de la personne) entre plusieurs systèmes. Cela permet à l’agent de se concentrer sur la personne et à participer activement à la résolution du problème plutôt qu’à se disperser sur des tâches administratives ou techniques.

MdM: Les domaines cités en exemple par Olivier démontrent parfaitement que la RPA permet de couvrir à la fois des activités de back et de front office. Pour le cas de contrôle des données, c’est un robot « Unattended » qui prend en charge cette tâche : il suffit de lui fournir une source de données, en lui envoyant un mail par exemple, pour qu’il exécute, sur une machine virtuelle, la tâche pour laquelle il a été programmé. Une fois le travail terminé, il renvoi un e-mail avec le résultat de son travail. Concernant le cas du call center, il s’agit ici de robots « Attended » que l’on contrôle directement depuis son ordinateur. L’agent est alors secondé par un assistant virtuel qui exécute les taches voulues directement sur l’écran de l’utilisateur.

Comment lancer de manière optimale un tel projet ?

OL: Je recommanderais d’essayer avant d’acheter. Pour cela, il me paraît utile de se faire accompagner sur un sujet pilote à robotiser. Je pense que cet accompagnement est important pour comprendre ce qu’est la robotisation, pour distinguer ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut ou ne doit pas faire, et pour appréhender les critères qui distinguent un bon processus candidat à la robotisation d’un mauvais. Cet accompagnement est également utile pour se faire une idée des bons produits sur lesquels investir pour robotiser (UiPath, Automation Anywhere et autres) et enfin pour comprendre le modèle de licensing, qui, avouons-le, n’est pas tout à fait intuitif.

MdM: Le soutien des C-level est essentiel : l’automatisation est aujourd’hui la clé du succès de toute entreprise et nécessite donc le soutien de la direction générale. Avoir une vision de l’automatisation aide à soutenir le succès des initiatives.

Un Proof of Concept est effectivement la meilleure façon de commencer afin d’apporter au management les éléments nécessaires à la qualification d’une solution pour améliorer l’efficacité dans l’entreprise. Il est possible de commencer seul mais il est rare de trouver directement en interne les ressources et les connaissances appropriées pour garantir le succès d’une initiative RPA. En effet, toutes les erreurs comptent doubles lors de la première phase et risquent de rendre l’initiative d’automatisation plus difficile. Un partenaire expérimenté est donc crucial pour assurer un départ réussi et transmettre des compétences à l’interne afin de glisser vers une autonomie en matière de RPA. Sur le plus long terme, un partenaire reste utile pour gérer les besoins en licences, assurer le support et la maintenance d’automatisations compliquées et présenter de nouvelles solutions en lien avec l’Hyperautomation (IA, Process Mining, chatbots, etc.).

Comment l’arrivée de l’automatisation a-t-elle été perçue par les employés ?

OL: Cette question est centrale à mon sens. Cela a d’emblée été pour moi un sujet critique, car potentiellement dangereux s’il est mal amené. Soyons clairs: les robots sont les amis des employés, pas leurs ennemis.

Il est important de communiquer correctement, c’est-à-dire sincèrement et avec des éléments de vérité afin d’expliquer et de rassurer. Nul besoin de vous raconter l’histoire de la machine à vapeur, de la révolution industrielle ou de la robotisation de l’industrie et des craintes qu’elles ont pu engendrer. Plus près de nous, la généralisation de l’informatique personnelle aux domaines professionnel et privé offre une bonne analogie avec l’automatisation : d’abord atteint d’une « computerphobia », les masses ont vite compris les possibilités offertes par les ordinateurs et nous nous réjouissons tous aujourd’hui de pouvoir utiliser cette technologie comme support dans nos activités quotidiennes. Il en sera de même avec la robotisation des processus.

Au TCS, nous avons montré que les robots sont un support aux agents. Ils prennent en charge les tâches les plus fastidieuses, les moins intéressantes et permettent justement à nos collaborateurs de ne pas travailler comme des robots. Ils nous permettent de faire plus là où nous sommes les meilleurs: la relation avec les clients, l’empathie, la prise en compte de contextes spécifiques pour résoudre des problèmes parfois complexes et sortir nos membres de la difficulté dans laquelle ils se trouvent. Pour résumer, la robotisation ne remplace pas les agents, au contraire elle les augmente!

J’ai été agréablement surpris de voir la réaction extrêmement positive des agents qui pouvaient bénéficier du support d’un robot. J’ose croire que l’accompagnement de terrain et ces explications ont été un facteur de succès dans l’adoption.

MdM: Comme l’a soulevé Olivier dans sa réponse, il est important de préparer au mieux l’arrivé de ces nouveaux « collaborateurs » digitaux dans l’entreprise. Les efforts de Change Management doivent alors être entrepris dès le début afin de répondre aux peurs des employés et les préparer à utiliser ces bots qui deviendront leurs propres assistants personnels. Pour ce faire, il faut commencer par démystifier la technologie avec des présentations et démonstrations. À ce sujet, l’automatisation développée lors d’un pilote doit pouvoir faire office de showcase capable d’aider les collaborateurs à mieux comprendre le sujet et à se projeter dans ce que sera la nouvelle réalité opérationnelle une fois l’initiative portée à maturité. Ici aussi, il est intéressant de pouvoir bénéficier d’un accompagnement afin de s’enrichir des stratégies gagnantes établies par d’autres entreprises et profiter des meilleures pratiques en matière d’habilitation des employés.

À quoi les chefs de projet RPA doivent-ils prêter attention ?

OL: La première des choses est d’ancrer ce type d’initiative là où elles recevront le sponsorship requis. Il est important que ces projets se fassent en concertation avec les directions informatiques mais il faut qu’ils soient directement soutenus par le business.

Si vous êtes dans une organisation où l’argent coule à flot et où l’innovation est poussée sans trop questions, ce sera facile. Si comme dans beaucoup d’organisations, et de surcroit dans la période actuelle, il faut justifier avec rigueur chaque centime employé, alors il est impératif de pouvoir définir les bénéfices attendus. Le chef de projet doit pouvoir exprimer clairement et en mots compréhensibles par tous ce qu’est la robotisation, à quoi elle s’applique dans l’entreprise et les retours relatifs à chaque processus candidats à l’automatisation.

La définition d’une gouvernance post-pilote est cruciale pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par la robotisation. La nature de cette technologie, “low code” pour “citizen developers”, permet de promouvoir son utilisation et de réduire les dépendances inter organisationnelles. Dans ce cadre-là, il est nécessaire de définir clairement les rôles et responsabilités ainsi qu’une directive de fonctionnement pour l’approbation et la gestion de nouvelles automatisations. Enfin une bonne dose d’enthousiasme est nécessaire pour écarter les inévitables difficultés qui se trouvent sur la route de tout projet innovant.

MdM: Comme évoqué précédemment, il est important de s’assurer que l’initiative RPA bénéficie du soutien interne approprié pour garantir sa réussite. Les robots sont des assistants directs aux équipes métier et les soutiennent dans des procédures qui leur sont propres. C’est pour cette raison que je recommanderais à toutes entreprises d’allouer leur projet RPA à un département business plutôt qu’à l’informatique: cela donnera plus d’agilité aux départements en question, tant en matière d’investissement que de rapidité de mise en production des nouvelles solutions. Concernant la gouvernance, il est nécessaire d’établir rapidement un modèle opérationnel détaillé pour éviter les pannes et gérer efficacement le pipeline d’automatisations. Les rôles et responsabilités ainsi que les procédures propres à la RPA ne sont pas toujours intuitives et il confortable de pouvoir s’appuyer sur l’expérience d’un partenaire au lieu d’apprendre à travers des erreurs qui peuvent avoir un impact sur les affaires.

Comment percevez-vous l’avenir avec la RPA ? Quelles sont vos aspirations concernant les autres technologies d’Hyperautomation (AI, Chatbots, OCR, Process Mining, …) ?

OL: Concernant les chatbots, ils intègrent déjà une IA assez poussée, y compris pour les voicebots avec la reconnaissance des langues et même des dialectes. Ces solutions ont beaucoup de sens une fois intégrées avec des robots classiques car elles permettent de traiter des demandes de bout en bout. Pour l’OCR et l’extraction de données, on peut voir des présentations impressionnantes sur les réseaux mais j’attendrais encore 2 à 3 ans avant de considérer sérieusement ces solutions. Nous recevons de nombreux justificatifs, factures et autres documents d’une incroyable hétérogénéité. J’ai hâte de voir ces supports digitalisés et qu’une IA puisse reconnaître de manière plus fiable qu’aujourd’hui quelles données se trouvent où et de quel document il s’agit.

Plus généralement sur l’avenir de la RPA: je pense que ces questions ressembleront un jour à celles qu’on a pu se poser sur l’avenir de l’informatique ou celui d’internet. La question n’est bien-sûr pas de savoir s’il y a un avenir ou pas, mais à quoi il ressemblera. La robotisation se focalise aujourd’hui essentiellement sur des processus à haut volume, avec peu d’exceptions, basés sur des règles non ambiguës. J’attends avec appétit la convergence entre la robotisation et l’intelligence artificielle. Cette convergence est pour moi le “game changer” en bon français et je crois que cette convergence n’est pas pour dans 10 ans ni même dans 5 ans : elle arrive. Les organisations qui s’y seront préparées via la robotisation classique, dont le TCS, auront un avantage compétitif certain. Les collaborateurs qui maîtrisent ces outils auront aussi un temps d’avance et un avantage sur le marché du travail. À condition toutefois de combiner cela avec des capacités à comprendre des processus et à les optimiser.

MdM: Il est réjouissant de voir que le TCS se penche déjà activement sur des technologies complémentaires à la RPA. Il ne fait aucuns doutes que les entreprises qui maitriseront les différents éléments liés à l’Hyperautomation auront un avantage net sur leurs concurrents, que ce soit au niveau de l’efficience opérationnelle, de la qualité et de la rapidité du service clients ou encore sur la capacité d’exploiter de grands volumes de données qui représentent les nouvelles mines d’or du 21ème siècle. Le défi principal est alors de rester informer sur les dernières solutions et leur applicabilité dans ses activités afin de ne pas manquer un tournant qui pourrait être déterminant pour l’avenir de l’entreprise . Les spécialistes de la RPA sont souvent bien informés sur ces nouveaux produits et peuvent ainsi présenter de manière proactive et implémenter des solutions qui font sens dans la réalité opérationnelle de leurs clients.

Le Touring Club Suisse (TCS) est une association sans but lucratif qui rassemble environ 1,5 million de membres en Suisse. En tant que plus grand club de mobilité de Suisse, le TCS propose des prestations à ses membres dans les domaines de l’assistance aux personnes, assistances aux véhicules, tourisme et loisirs. Par ailleurs, le TCS s’engage au bénéfice de la communauté en réalisant des tests sur tous les objets liés à la mobilité et en œuvrant au service de la sécurité routière et de la mobilité électrique.

BOYDAK Automation est un partenaire de premier plan dans la mise en œuvre de solutions d’automatisation intelligentes et de Process Mining. L’entreprise travaille en étroite collaboration avec ses clients et les éditeurs de logiciels afin de fournir des solutions pragmatiques et évolutives pour la restructuration et l’automatisation intelligente des processus d’entreprise.